Chorégraphie : Pauline Laidet en collaboration avec l’ensemble des interprètes.
Composition et conception sonore : Patrick De Oliveira sur l’œuvre de Stravinsky (interprétée par l’orchestre philarmonique de Berlin)
Le Sacre du printemps est pour moi à la fois un mythe, un mystère et une référence.
Œuvre musicale composée par Stravinsky en 1913 pour les Ballets Russes, et dont Nijinski signe la chorégraphie. A l’époque, la pièce fait scandale : dissonance de la musique, déconstruction des codes du corps classique, Le Sacre est une rupture esthétique. Le soir de la première, le public est si bruyant qu’en coulisse, Nijinski hurle aux danseurs les comptes de la musique qu’ils ne parviennent plus à entendre.
Depuis, il y a eu plus de 200 versions du Sacre du Printemps. L’œuvre fascine pour la place qu’elle laisse aux interprétations et réécritures. C’est devenu une sorte de rite de passage du chorégraphe : « Faire son Sacre ». Béjart, Pina Bausch, Sasha Waltz, David Wampach, Germaine Acogny, la liste se renouvelle perpétuellement.
Loin de se sentir inhibée par le poids d’un tel héritage, je vois dans Le Sacre du printemps la possibilité de faire ses propres choix de réinvention : puisque tout a déjà été fait, alors tout est possible. En proposant ce travail aux élèves de l’Ecole de La Comédie de Saint-Etienne, je m’empare de ce lieu de recherche et de transmission comme un espace également d’autorisation.
En commençant par regarder certaines des versions précédentes du Sacre, j’ai proposé ensuite aux élèves d’inventer et d’écrire une sorte de cérémonie singulière qui serait celle de leur communauté d’aujourd’hui : la promotion 32.
Ce Sacre est leur composition : elle appartient à leurs douze corps, à leur imaginaire, à leur génération. Patrick De Oliveira, compositeur, a été présent avec nous tout au long du travail pour réinterpréter la partition de Stravinsky, parfois gardée dans sa version originale, parfois déconstruite, samplée, parfois mise à distance pour faire une entendre une composition originale et contemporaine.
L’argument du Sacre du printemps se partage en deux parties : Les rituels festifs et collectifs qui fédèrent les Hommes avec la nature, puis la mise en place du choix de « l’Elue » : celle qui sera sacrifiée. Le ballet à l’origine se termine par la « danse sacrale », un réel morceau de bravoure de l’interprète qui danse jusqu’à épuisement. Jusqu’à sa chute.
Quand j’ai interrogé les élèves sur les échos que pouvaient trouver ces thématiques du rituel et du sacrifice chez elles et eux, il.elle.s se sont unanimement positionnés contre cette idée esthétisante du sacrifice. Cette éternelle figure de la jeune fille, victime et sacrifiée qui devient une icône, une muse. Celle qui permet au printemps d’advenir. Celle qui permet aux bateaux d’Agamemnon de repartir vers les côtes de Troie, celle dont le suicide aurait fait basculer Rome de la royauté à une République.
Le refus de raconter cette histoire qui se répète, le refus de se conformer à ce qui a été écrit, fut le point de départ de notre Sacre. Elle était là sa singularité : se donner la permission de faire autrement.
Notre version sera donc une cérémonie qui ne va pas tout à fait se dérouler comme cela était prévu. Et ce ne sera pas au dépend du collectif qui va bien exister mais en donnant l’espace à chacun et chacune de déborder, de ne pas rester à la place qui lui était assignée.
Sacre//32 a été composée à partir de leurs propositions chorégraphiques individuelles, et réorganisée ensuite collectivement, avec l’envie d’invoquer la joie pour raconter l’émancipation. Il.elles l’ont fait avec engagement, inventivité, exigence. Je les en remercie.
Pauline Laidet
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